mardi 25 mars 2014

Spam!









Matériel supplémentaire

L'être humain a toujours été sujet à des sautes d'humeur lui faisant oublier les règles les plus élémentaires du savoir-vivre qui permettent la vie en société. Une conséquence pas toujours agréable de nos nouveaux moyens de communications est que l'inhibition de certaines pulsions, qui va de mise quand on est en face de quelqu'un, semble s'effriter dans les discussions électroniques. Plus d'une personne se conduira dans les médias sociaux d'une façon très différente de celle qui serait sienne en public, et l'acceptation de tels comportements anti-sociaux est également beaucoup plus grande dans les lieux de rencontre virtuels que dans la rue.

Cela est vrai pour les individus mais également pour des entités comme les entreprises qui n'ont pas, elles, l'excuse d'être des individus émotifs sujets à toutes sortes de pulsions psychologiques. Certes, les entreprises sont dirigées par des êtres de chair et de sang; mais on s'attend à ce que leurs décisions et leur comportement soient le fruit d'une certaine stratégie commerciale, d'un certain plan, pas de réactions impulsives.

Bon, je ne veux pas dire par là qu'il est courant de voir une entreprise envoyer des courriels d'insulte ou des menaces à des client potentiels. Ce dont elles ne se privent pas, cependant, est de nous soumettre à un barrage en règle de messages publicitaires, quitte à empiéter sur notre intimité, la quiétude de notre foyer, ou notre droit à ne pas être constamment dérangé.

Beaucoup de sites web voient leur contenu rendu presque inintelligible parmi le flot d'annonces qu'on y trouve. Ce n'est peut-être qu'un moindre mal puisque de tels sites, rendant leur fréquentation très désagréable et presque inutile, finiront bien par ne plus générer de trafic et disparaîtront. Il en va autrement de notre boîte aux lettres électronique ou de notre téléphone. Certes, il existe des filtres pour limiter la quantité de messages indésirables (pour lesquels le délicieux néologisme "pourriels" a été créé) qui nous sont adressés. Mais ces filtres doivent évoluer constamment pour ne pas être contournés par des systèmes d'expédition de plus en plus astucieux; en outre, un nombre non-négligeable de "vrais" messages peuvent être considérés comme des pourriels par les filtres, faisant en sorte qu'on ne les reçoit pas.

La course entre parasites et hôtes est une histoire ancienne en biologie, et maintenant qu'elle se produit dans notre écosystème technologique on ne saurait trop s'en étonner (les parasites étant ici les pourriels et autres communications indésirables). On peut même espérer que comme les hôtes biologiques, nos systèmes de communication sauront rester un pas en avant des parasites afin de continuer à fonctionner. Cependant, il semble que quoi qu'il advienne certaines règles de comportement social auront été affectés de façon permanent par la facilité et le faible coût associé à la communication de masse. Un certain devoir de réserve semble avoir disparu.

On n'a pas eu besoin de l'invention de l'internet pour déranger les gens. Les sollicitations téléphoniques, une forme très impolie de communication commerciale, ont déjà une longue histoire. Mais comme si ce n'était déjà pas assez de troubler le repas du soir des familles pour leur demander si elles sont satisfaites de leur assurance automobile, on confie maintenant la tâche à des machines livrant un message enregistré. Y a-t-il des gens qui écoutent de tels messages jusqu'au bout sans raccrocher avec violence et un gros mot? Y a-t-il des consommateurs qui vont vraiment envoyer des sous aux instigateurs d'une telle campagne de marketing? Sûrement pas beaucoup. Mais une fraction extrêmement petite d'un nombre très, très grand peut quand même se traduire par un confortable chiffre d'affaires en bout du compte. L'important est juste de rejoindre un nombre suffisant de clients potentiels. C'est ce principe qui est la base d'un livre publié en 1995 par deux avocats américains, monsieur Carter et madame Siegel, intitulé "How to Make a Fortune on the Information Superhighway: Everyone's Guerrilla Guide to Marketing on the Internet and Other On-Line Services". En gros, son message est le suivant: avec un déluge de messages publicitaires qui ne coûtent rien (et qui sont rendus possibles par la messagerie électronique), une entreprise peut espérer attraper suffisamment de clients pour faire pas mal d'argent. Et ce message a été entendu.

Ce type de stratégie signifie bien sûr que la véritable information risque d'être noyée par un raz-de-marée de bruit de fond, comme dans le fameux sketch (datant de 1970) du groupe d'humoristes britanniques Monty Python qui a d'ailleurs donné son nom populaire aux pourriels: le mot spam. Le spam est à la base un type de viande en boîte; dans le sketch en question, qui a lieu dans un petit restaurant, le spam est ubiquitaire dans les plats offerts et la communication est constamment interrompue par un groupe de Vikings chantant "Spam!" a tue-tête et à tout bout de champ. Le terme "spam" a semble-t-il été utilisé pour la première fois dans le contexte de "texte sans importance distribué à grande échelle" en 1993.

Ce qui m'irrite le plus en ce moment est que la majorité des pourriels provenant de sources respectables (je ne parle pas des arnaqueurs, ici, mais bien d'entreprises qui devraient mieux se conduire) contiennent, en très petits caractères, l'information selon laquelle je peux me "désabonner" de la liste d'envoi pour des messages similaires. Comme si je m'étais abonné en premier lieu!!! Et comme si cette notice rendait un tel comportement acceptable! On ne crache quand même pas dans la soupe en avisant les convives que s'ils n,aiment pas ça, ils n'ont qu'à le signaler pour qu'on ne le fasse plus à l'avenir. Il faut quand même se garder une petit gêne dès le départ. En outre, les listes d'adresses que les expéditeurs utilisent leur sont données (ou vendues) sur une base régulière; se désabonner une fois ne nous assurera la paix que pour une courte période, car il y a gros à parier que notre adresse se retrouvera sur une nouvelle liste tôt ou tard. J'ai souvent eu à me désabonner de listes d'envoi venant du même expéditeur, et pour le même type de message (sans jamais m'être abonné à quoi que ce soit, il va sans dire).

Rien de tout ça n'a beaucoup d'importance dans le grand ordre des choses. Mais il témoigne d'un effritement progressif des règles de bonne conduite dans un monde où, grâce à la distance entre l'offenseur et l'offensé, il y a des coups de pied qui se perdent.

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